SUR CETTE PAGE
La chatte, un trio étonnant
In the mood for love, éloge de la beauté
Le danseur de tango, passement de jambes
Nuit sur la neige, roman mélancolique
Premier amour, esthétique de l'absurde
Phantom thread, sublime
La chatte, un trio étonnant
L'écrivaine Colette, dans son roman "La Chatte", décrit une banlieue chic de Paris dans son jus du début des années 30, dont on retrouve des traces aujourd'hui encore en se promenant à Neuilly Sur Seine. Un animal de compagnie, la chatte Saha, y fait obstacle à l'amour que se portent deux jeunes époux venant d'y emménager au dernier étage d'un immeuble neuf donnant sur la Folie Saint James. Leur appartement est trop étroit pour tout, pour échapper à la touffeur de l'été, pour retrouver une intimité de célibataire qu'ils viennent à peine de quitter, et à laquelle ils aspirent à nouveau par moments, ayant besoin de prendre du recul pour mieux construire des habitudes communes, enfin pour qu'un félin s'y épanouisse.
La finesse et l'empathie réciproques qui caractérisent la relation entre le jeune marié et la chatte Saha en excluent l'épouse. La nuit de noce et les ébats des nuits suivantes font fuir l'animal. Enfin la haine entre la femme et le félin est si froide que l'homme ne mesure pas à quel point elle peut être violente. Ce trio est une ronde de duos exclusifs qui peinent à fusionner.
Référence : lu dans l'édition de 1971 (Le Livre de Poche)
In the mood for love, éloge de la beauté
Un film esthétique, autant par l’image que par la musique (originale, belle et envoûtante). Il ne se passe pas grand chose et pourtant chaque scène est intense. Les deux personnages principaux sont bien mis, l’héroïne changeant de robe à chaque plan ou presque, le héros ne tolérant aucun pli sur son costume servant d’écrin à une cravate sélectionnée avec soin. Ils sont polis, respectueux, humains et évitent toute mièvrerie. La douceur de leurs gestes et de leurs mots, leur commune quête de beauté en toute chose et à chaque instant illustrent un haut degré de civilisation qu’il sont heureux d’atteindre ensemble, alors que leur entourage, à commencer par leurs conjoints respectifs, se laissent aller à d'indignes instincts. Un sympathique poivrot, joueur et roublard, apparait par moments pour renforcer ce contraste. Le dénouement est tout en nuances, en suggestion, à l’image de ce qui précède. Un film qui ne ressemble à aucun autre, pour le meilleur.
Le danseur de tango, passement de jambes
Un jour, entre deux confinements, la bibliothèque de ma ville a délesté ses rayons. Une foire aux livres dits "réformés", comme l'indique le coup de tampon sur la page de garde de chaque ouvrage. J'y ai trouvé ce roman d'un écrivain hollandais, Thomas Rosenboom, et ai donc entamé pour la première fois la lecture d'un roman batave au titre argentin.
Ça commence doucement, le style est simple et sensible, un jeu de coeurs et de sentiments troubles s’installe dans un décor de ville du nord. Le héros sort de l’adolescence plus tard que la moyenne, déniaisé par une femme plus jeune que lui et pourtant déjà mûre, nourrie d’une multitude d’expériences amoureuses. Etonnant ce petit livre qui ne perd pas le nord, qui évite de se perdre dans la description de l’univers du Tango et de ses adeptes mais qui au contraire profite de la couleur unique de cette danse pour camper des personnages parfaitement croqués, différenciés, cohérents et acteurs d’une histoire bien construite. Du jamais vu cette trame rebondissante ficelée à la façon d’un polar mais adaptée sur un ton doux et patient au genre du drame romantique. L’âme de ces gens est écartelée entre besoin d’amour, de liberté et de vengeance, à l’exception d’un personnage apparemment secondaire, une femme qui se révèle d'une sagesse et d’une lucidité supérieure en fuyant les premiers rôles, qui suit sa voie et raccommode les accrocs des vies des autres quand elle le peut, sans mettre en danger sa propre ligne de vie. De la littérature à n’en pas douter, à suivre dès que ses autres livres seront traduits en français.
Référence : lu dans l'édition de 2006 (Collection La Cosmopolite, Stock)
Nuit sur la neige, roman mélancolique
Laurence Cossé est née en 1950 mais on a l'impression en lisant son roman "Nuit sur la neige", dont la trame se déroule dans les années 30, qu'elle a vécu cette période elle-même et qu'elle aimerait y retourner. Se glissant dans le peau d'un garçon, elle imagine sa sortie de l'adolescence sur fond de crise multiforme, que l'on ne peut s'empêcher de comparer à celle qui affecte le monde au début du vingt-et-unième siècle.
Le héros du livre vit des amitiés et des amours naissantes, tout en se montrant curieux de la façon de vivre des habitants des hauts villages alpins appelés, bientôt, à devenir des stations de sport d'hiver surpeuplées, devinant que leur univers est sur le point de basculer et enregistrant leur mémoire avant que la chose ne devienne impossible.
Référence : lu dans l'édition de 2018 (Collection blanche, Gallimard)
Premier amour, esthétique de l'absurde
Dans Premier amour, Samuel Beckett nous fait réfléchir. Le livre compte à peine cinquante-cinq pages et pourtant sa lecture prend des heures. Car les phrases ont plusieurs sens possibles, ou plutôt la succession des phrases, liées ou pas entre elles, génère un sentiment d'ouverture du champ des possibles, à la façon du cubisme en peinture qui donne à voir le ressenti de l'artiste, dans un désordre apparent dicté en réalité par l'ordre de survenance de ses émotions.
Cette cure d'absurdie raisonnée nous fait du bien. Elle n'est pas moins vraisemblable que la réalité même. L'attention nécessaire à la compréhension de ce qui se passe sous nos yeux, sur les deux pages ouvertes devant nous à un instant donné, nous fait mobiliser des neurones endormis tout heureux de contribuer à notre bonheur de lecteur. Car comment imaginer plus grand bonheur qu'avoir accès, même fugitivement, aux impressions intimes d'un génie ? Le procédé d'écriture est à la fois un vecteur d'émotion inédit et une oeuvre en soi.
Merci Beckett !
Référence : lu dans l'édition de 2019 (Éditions de Minuit)
Phantom thread, sublime
Quelle belle surprise au détour d’une navigation labyrinthique dans les tréfonds d’une plateforme de streaming : Phantom thread, ou le fil caché, ou le fil fantôme. Les deux sens sont valables, en phase avec les multiples lectures possibles de ce film brillant, à la fois au niveau du scénario, de la réalisation et du jeu d’acteurs. Il mérite amplement sa note IMDB de 7.4. Dans l’univers de la mode se joue un drame lent sans lenteurs, premier prodige réussi par Paul Thomas Anderson (co-auteur avec Daniel Day-Lewis et réalisateur). Le fameux fil se déroule, révélant progressivement un personnage omniprésent dans la tête d’un couturier des stars et des têtes couronnées : sa mère, dont il a jadis confectionné une robe à l'occasion de son deuxième mariage.
Les histoires d’amour du grand homme sont le plus souvent orageuses, ses conquêtes échouant lamentablement à l'intéresser plus de quelques jours. Alma, dernière en date, devrait subir le même sort que les précédentes. Mais elle parvient à apaiser leur relation grâce à sa grande finesse. Son habileté à gérer son couple, les moyens qu’elle mobilise pour combattre l’égoïsme, son style amoureux sont inédits aussi bien en littérature qu’au cinéma. Voilà le deuxième prodige des co-auteurs, servi avec brio par une actrice lumineuse. Pour le reste, il faut simplement voir ce film.
Référence : cf IMDB
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La chatte, un trio étonnant
In the mood for love, éloge de la beauté
Le danseur de tango, passement de jambes
Nuit sur la neige, roman mélancolique
Premier amour, esthétique de l'absurde
Phantom thread, sublime
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