SUR CETTE PAGE
Planète lointaine, audacieux
Le problème à trois corps, une claque bienvenue
2030, un nouveau Djian
La machine s'arrête, une exception
Ubik, un héritage de Jules Vernes
Planète lointaine, audacieux
La science-fiction n’est pas toujours bien vue des littéraires déclarés, alors que ses chefs d’œuvre ne sont pas moins intemporels qu’un classique du romantisme, du surréalisme ou du nouveau roman. Arthur C. Clarke par exemple s’appuie sur une connaissance scientifique pointue pour imaginer des histoires sublimes, où la poésie le dispute souvent au réalisme. Depuis sa mort on cherche son successeur. Kim Stanley Robinson pourrait être celui-là. Même si le style est moins constant, on y trouve le même ressort, un niveau de documentation très poussé couplé à une libération des contraintes d’aujourd’hui grâce à une projection dans le temps respectant une logique de progrès crédible.
Après sa trilogie Mars, son récent Aurora démystifie le voyage interplanétaire à travers la vie de héros confinés, la grande originalité du livre venant de l’idée de faire se succéder des générations à l’intérieur d’un grand vaisseau, la destination étant trop lointaine pour être atteinte en une seule vie. Pourtant les futurs colons se déplacent à un dixième de la vitesse de la lumière. Tout au long des quelques six cent pages du roman, on découvre une analyse sociologique et environnementale dans un espace certes vaste mais fermé, dans lequel une société évolue à la façon d’un organisme vivant. Il y a dans ce texte des pépites souvent liées à l’introspection de l’ordinateur de bord, quantique, comme quand il se fait la réflexion que toute pensée humaine est plus métaphorique que logique. Le dialogue entre humain et machine est ici digne d’une anthologie. Enfin, on apprend que le plus grand risque encouru par des colons est leur probable incompatibilité biologique avec des organismes qui se seraient développés sur une planète avant leur arrivée, ce qui donne un nouvel éclairage sur les projets d’exploration spatiale et sur leurs chances de déboucher sur un exode même modeste.
Référence : lu dans l'édition de janvier 2021, chez Bragelone SF.
Le problème à trois corps, une claque bienvenue
La science-fiction est en déclin, dit Liu Cixin en 2015. Pourtant, grâce à lui, elle renait de ses cendres et renoue avec l'essence du genre : l'extrapolation scientifique. Liu Cixin égale aujourd'hui des auteurs mythiques tels qu'Arthur C. Clarke, dont il reprend les codes en les actualisant. Enfin de la vraie science-fiction, où le mot science prend tout son sens. Arthur comme Liu sont des scientifiques devenus romanciers et font jouer leur imagination autour de concepts prometteurs, ici le problème à trois corps. Liu dépasse même son illustre ainé car il introduit dans son oeuvre une recherche d'idéal sociétal et nous fait ressentir les interrogations des intellectuels chinois de notre temps.
La construction du roman est remarquable. Un système de poupées russes conceptuelles nous fait dériver dans le temps jusqu'à un contact avec une civilisation extraterrestre sous la forme d'un simple échange radio. L'auteur évite avec bonheur une description exotique de ces êtres vivant sur une planète lointaine et se concentre sur l'important, le vraisemblable, car une très légère extrapolation de nos connaissances actuelles suffit largement à créer un univers romanesque d'une grande crédibilité et d'un grand intérêt. Une cohérence exemplaire se dégage de cette lecture, faisant de Liu Cixin à juste titre le digne lauréat des plus prestigieux prix littéraires chinois et américains récompensant les auteurs de science-fiction.
Barak Obama est fan et a d'ailleurs tenu à le rencontrer devant les caméras. Ceci montre bien, considérant le niveau d'exigence de l'ex-président américain en matière de littérature, que la science-fiction n'est pas un sous-genre.
Lu dans l'édition d'octobre 2016 (Actes Sud)
2030, un nouveau Djian
A chaque nouveau titre Philippe Djian se réinvente. Dans 2030 il se projette dans un monde où les tendances observables aujourd'hui sont devenues les piliers d'une société déchirée. Les mécanismes de la séduction sont toujours présents et présentés sous un jour original, comme souvent dans son oeuvre, avec une touche d'érotisme plus légère qu'au début de sa carrière. Le style reste fluide tout en introduisant une modernité que l'on devine inspirée par une exposition au zapping d'une adolescence hyper-connectée : la transition différée. Le texte est une succession de tableaux, mais on ne comprend que le tableau a changé que plusieurs phrases après l'invisible césure.
Il en résulte un rythme ultra-rapide, symbolisé par la Porsche du personnage principal, véhicule décalé car doté d'un moteur thermique dans cette ère dévastée par des cataclysmes climatiques récurrents de plus en plus mortels et de plus en plus fréquents, dont la violence n'est égalée que par les révoltes et révolutions fleurissant au quatre coins du monde contre un pouvoir dont les réelles motivations ne sont pas décrites. Il faut les deviner. L'argent ? La foi en un système ? La force d'un réseau ? Ou simplement le manque d'imagination pour inventer un nouveau modèle ? A chacun de se faire son opinion.
Lu dans l'édition de septembre 2020 (Flammarion)
La machine s'arrête, une exception
E.M. Forster est un auteur considéré comme classique, témoin de son temps, de la culture de ses semblables et de leur façon de vivre ensemble. Pourtant, il a commis en 1909 un petit livre hors du cadre, "La machine s'arrête", appartenant sans ambiguïté au genre de la science-fiction.
Il y prévoit, là aussi sans ambiguïté, l'avènement d'internet et des réseaux sociaux cent ans à l'avance. Il confirme ainsi son génie en ajoutant à sa réussite d'écrivain une prémonition lointaine qui ne sera vérifiée qu'après sa mort en 1970 (l'invention du microprocesseur date de 1971). A lire absolument, cet ouvrage de fiction nous fait prendre conscience que ce que nous vivons aujourd'hui n'est qu'une extrapolation de caractéristiques sociologiques observables dés le début du vingtième siècle.
Lu dans l'édition de septembre 2020 (L'échappée)
Ubik, un héritage de Jules Vernes
Philip K. Dick est l'auteur, entre autres oeuvres décalées, du livre dont est tiré le scénario du Blade Runner de Ridley Scott. Je viens de lire Ubik, un autre de ses livres considérés comme cultes par ses fans. Il ne ressemble à rien de ce que je connais. Le rythme est ultra-rapide, enchainant les hypothèses et sur-hypothèses qui définissent un monde futur (1992 vu en 1969), faisant craindre l'incohérence à chaque page tant l'univers dans lequel évoluent les personnages devient complexe, décrivant des détails de la vie quotidienne incroyablement visionnaires car nous, lecteurs, vivons avec aujourd'hui.
Notamment, ce livre paru quelques mois avant le premier voyage sur la lune et deux ans avant l'invention du microprocesseur anticipe avec précision ce qu'est devenu notre monde connecté, virtuel et monétisé. Philip K. Dick n'était pas un devin, mais un surdoué. Classé dans une catégorie Science-fiction voire Fantasy, il mériterait une postérité plus large. Ou alors, réhabilitons cette catégorie, lisons Jules Verne en adultes et non comme un auteur réservé à des lecteurs adolescents, car il est vital d'exploiter notre intelligence d'êtres humains pour penser un futur souhaité. Sinon, comment imaginer qu'il advienne ?
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Planète lointaine, audacieux
Le problème à trois corps, une claque bienvenue
2030, un nouveau Djian
La machine s'arrête, une exception
Ubik, un héritage de Jules Vernes
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